« Les arts martiaux contrôlent tout ce qu’il y a de mal en nous »
Ancien sportif de haut niveau et combattant réputé, champion d’Europe de sambo en 2013, champion du Monde de grappling en 2015, Marshall Savchuk est désormais considéré comme un professeur émérite de sambo, à seulement 27 ans. Ce Moscovite, surnommé le « chasseur de jambes », évoque le rapport particulier de la société russe avec les sports de combat.
La pratique populaire du combat sambo trouve son origine dans le développement sportif qui a suivi la Révolution russe de 1917. Un siècle plus tard, comment expliquez-vous que les sports de combat suscitent encore un tel engouement en Russie ?
L’attrait des Russes pour les sports de combat est strictement culturel. L’art martial repose toujours sur l’éducation et la culture. La Russie est un très grand pays, et les arts martiaux se sont développés grâce aux différents peuples qui la composent. Chaque peuple a son art martial. Traditionnellement, les Slaves de Russie préfèrent le sambo : des combats à un contre un. Chez les Russes, la tradition, c’est plus le mur-à-mur : des combats à plusieurs, à main nue. Dans le un contre un, on lutte. Lors des murs-à-murs, on tape. Mais quand la personne tombe, on s’arrête. C’est très réglementé. C’est un divertissement et un sport, il n’y a pas de place pour la violence.
Le combat sambo a été développé par l’Armée Rouge. Aujourd’hui encore, il est pratiqué par les structures de force (FSB, milice…). Faut-il y voir un lien avec les impératifs de défense des frontières de la Russie au cours de l’histoire ?
Non, je ne pense pas. Au temps de la Russie impériale, il y avait déjà un règlement écrit pour les gendarmes de l’époque. C’était l’ancêtre du sambo, tel qu’on le connait aujourd’hui. Ce règlement était dédié aux forces de l’ordre pour neutraliser un délinquant. Depuis, il existe le combat sambo et le sambo sportif. Il y a un troisième type, c’est le sambo militaire, pour les soldats. Chacun est différent et a sa propre voie. Le sambo militaire est un peu à part, il s’est développé dans les structures d’Etat. Kharlampiev, Spiridonov et Ochtchepkov sont les trois fondateurs du sambo tel qu’on le connaît aujourd’hui. La discipline regroupe les techniques de plusieurs arts martiaux différents. Le premier championnat de sambo sportif a été organisé en 1995. C’est l’année de naissance du sambo comme art martial.
En dehors de la sphère sportive, la violence des hooligans est un fait de nos sociétés. Y-a-t-il une spécificité russe dans le phénomène hooligan ? Les sports de combat peuvent-ils, selon vous, en tant qu’entraîneur, canaliser les maux de la société ?
Il n’y a pas de rapport entre le sambo et la violence hooligan. C’est un mouvement qui s’est créé à côté du football. La tradition mur-à-mur existe depuis la fondation de notre pays. Une partie de cette tradition est allée dans l’art martial, et une autre partie dans le football. Le hooliganisme est un phénomène culturel hors-la-loi. J’entraîne néanmoins plusieurs leaders hooligans très connus en Russie. Aujourd’hui, la tendance est que certains hooligans pratiquent le sambo et d’autres disciplines du MMA (Mixed Martial Arts, Arts Martiaux Mixtes). Pour moi, les sports de combat ne sont pas liés à la violence de la société russe. Chaque personne a des ambitions différentes : celui qui veut être un mauvais gars reste dans le mouvement hooligan. Celui qui veut se socialiser va vers les arts martiaux.
Des hommes politiques comme Vladimir Poutine ou Ramzan Kadyrov pratiquent avec passion les sports de combat et le font savoir. Quels messages veulent-ils transmettre à travers ces images de sportifs en action ?
Voir ces hommes politiques au combat est quelque chose de très profond. Ils adressent un message pédagogique. La Russie est un grand pays, mais la densité de population est faible par rapport à sa surface. Les gens se retrouvent souvent seuls face à eux-mêmes et face aux difficultés du climat et de la nature. Pour surmonter cette solitude, il faut donc être un homme fort. La force de l’âme et de l’esprit est aussi nécessaire.
Les dirigeants de la Russie le savent. A travers leur image, ils montrent cette force. Ils sont suivis par les peuples. Ils sont des phares, des lignes directrices. Le sport de combat est une sorte d’éducation du caractère. Ce caractère est nécessaire pour faire face aux difficultés. Sans ces qualités intérieures, nous ne pourrions pas survivre. Les arts martiaux permettent de contrôler tout ce qu’il y a de mal en nous. Nous sommes obligés d’être forts, mais c’est aussi quelque chose que l’on nous reproche car les Russes sont vus comme des personnes violentes.
Les formes prises par la compétition de MMA en Russie et aux Etats-Unis sont interdites en France où elles sont jugées trop violentes. Comprenez-vous ces critiques ?
Les formes prises par les MMA en Russie et aux Etats-Unis sont des témoignages des sociétés de ces pays. Le développement de ce sport en Russie était inévitable, voire obligatoire. En France, il faut respecter la tradition du pays. La France a fait au monde et aux sports de combat un grand don avec la lutte française.
La société française s’est vite développée. Elle a été très peu menacée au cours de son histoire. Elle n’a donc pas besoin de cultiver le caractère de lutteur chez les citoyens. Les menaces, à l’inverse, étaient constantes en Russie : il fallait et il faut être fort. On se souvient de notre histoire, même si maintenant nous sommes en paix. Un proverbe en Russie dit ceci : « Le train blindé est au dépôt, mais toujours sur les rails ». Chaque pays hérite d’une culture différente qu’il faut assumer.
Propos recueillis par Antoine Belhassen et Lohan Benaati