« A chaque voyage, il y a des déclics qui se font »
Diplômé de la Sorbonne et de l’Ecole Supérieure de Journalisme, Jeremy Suyker a réalisé son premier reportage au Sri Lanka en 2011 en pleine guerre civile, avant d’explorer la société turque de l’ère Erdogan et de gagner l’Iran. Sa préférence se porte sur les travaux au long cours. Ses reportages ont été publiés dans The National Geographic, Sunday Times, Newsweek Japan, Geo, Stern, le Figaro Magazine, le Temps ou encore 6Mois. Jeremy Suyker fait partie du collectif Item. Il expose à Bordeaux, dans le cadre des Tribunes de la presse, « Les insolents de Téhéran ».
Vous avez plusieurs fois été décrit comme un « nomade, toujours en mouvement ». Vous êtes d’abord parti à Istanbul avant de gagner l’Iran. Comment avez-vous préparé ce voyage et quelles ont été vos motivations ?
Je suis allé plusieurs fois à Istanbul. A l’époque, je faisais un reportage sur la Mer Noire. Je l’ai longée en passant par la Turquie, la Géorgie, la Russie, l’Ukraine. Un peu plus tard, en 2013, je suis revenu à Istanbul, et de là j’ai pris un train pour aller en Iran. Je trouvais important de voyager, non pas en avion de Paris à Téhéran, mais d’y aller progressivement pour m’imprégner de l’évolution du paysage jusqu’à l’arrivée dans le pays.
Vos allers-retours à Téhéran vous ont permis de réaliser pour le collectif Item un reportage intitulé « The Persian Factory », qui nous fait découvrir la scène artistique underground de la capitale. « En Iran, tout est interdit, mais tout est possible », affirmez-vous. Votre engagement journalistique implique-t-il de contourner les règles ?
Cette citation vient d’un artiste iranien qui est un ami. Ce qu’il veut dire, c’est que l’Iran est un pays où on a l’impression que tout est plus ou moins fermé, cadenassé. Mais on se rend compte lorsque l’on découvre le pays que la réalité est beaucoup plus complexe que cela. Il y a beaucoup plus d’opportunités qu’on peut imaginer. Effectivement, dans ce pays, il est possible d’évoluer quand on est malin en faisant bouger un peu les lignes. C’est un combat au quotidien pour faire évoluer la situation.
La manière dont vous jouez des lumières rappelle l’école flamande. Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je n’ai jamais étudié la photographie. J’étais à la Sorbonne en Lettres et mon inspiration vient des romans que j’ai pu lire. Je raconte des histoires. C’est de la photographie de couleurs, j’aime jouer avec les lumières, avec des sortes de clair-obscur, dans des contextes pas toujours évident. Je trouve important de créer une ambiance. Cela dépend aussi de l’histoire que je recherche. Parfois, je vais lire une brève dans un journal et me dire qu’il y a quelque chose à creuser.
Baroudeur, vous avez posé vos valises à Rio depuis janvier dernier. C’est votre première expérience au pays de Sebastiao Salgado. Qu’attendez-vous de cette rencontre avec le peuple brésilien ?
Le Brésil est vraiment un pays complexe. Les Brésiliens sont des gens accueillants mais la réalité sociale est difficile, avec beaucoup de violence et de précarité. J’ai eu des difficultés à m’adapter, à comprendre les codes. En termes d’image, le Brésil m’a permis d’aller encore plus loin dans ma recherche picturale. A chaque voyage, il y a des déclics qui se font. Je suis photoreporter et je pratique une activité artistique que j’essaie de toujours faire évoluer… Si on pratique toujours la même forme de photographie, on peut se lasser.
Quels sont vos prochains projets ? Avez-vous envisagé de retourner en Iran ?
Je retourne en Iran en 2018. J’aimerais poursuivre le travail que j’ai commencé sur les artistes de Téhéran et aller un peu plus loin. Je voudrais voir où ils en sont aujourd’hui, donc trois ans plus tard. L’idée finale serait d’en faire un livre.
Propos recueillis par Florian Chaaban et Juliette de Guyenro